Comprendre la notion de patrimoine numérique
À l’heure où le digital occupe une place centrale dans nos vies, la notion de patrimoine numérique devient incontournable dans tout processus de planification successorale. Il ne se limite pas à quelques fichiers stockés dans le cloud ou à des profils sur les réseaux sociaux. Il englobe également des actifs de valeur tels que des cryptomonnaies, des œuvres numériques, des comptes en ligne associés à des revenus (YouTube, blogs monétisés, plateformes de trading), ou encore des documents électroniques à caractère personnel ou professionnel.
L’enjeu est donc de taille. En effet, à défaut d’organisation rigoureuse, l’héritage numérique d’un individu peut devenir inaccessible, voire totalement perdu pour ses proches. Cela peut engendrer des conséquences juridiques, fiscales et émotionnelles importantes pour les héritiers.
Quels sont les éléments d’un patrimoine numérique ?
Avant d’organiser sa succession numérique, il convient d’identifier clairement les types d’actifs numériques concernés. On distingue généralement deux grandes catégories :
- Les biens numériques patrimoniaux : Ce sont les actifs qui ont une valeur économique. Par exemple, les comptes bancaires en ligne, les portefeuilles de cryptomonnaies, les noms de domaine, les contenus monétisés, ou encore les investissements numériques (NFT, plateformes de crowdfunding, etc.).
- Les biens numériques personnels : Il s’agit des contenus sans valeur financière directe, mais parfois très précieux sur le plan affectif ou identitaire : photos, vidéos, e-mails, archives de discussions, profils de réseaux sociaux, blogs personnels, contenus stockés sur des services cloud.
Pourquoi organiser la transmission de son patrimoine numérique ?
La planification successorale digitale permet avant tout d’éviter que des données importantes ne soient perdues ou que des actifs numériques de valeur ne restent inexploités. Elle participe également à :
- Assurer la sécurité juridique et fiscale : Certains actifs numériques sont soumis à des déclarations et peuvent entrer dans l’assiette de succession (notamment les cryptomonnaies ou œuvres numériques à valeur spéculative).
- Respecter les volontés du défunt : Sans instruction précise, il est difficile pour les proches de prendre les bonnes décisions concernant les comptes, les profils en ligne ou les données personnelles.
- Alléger les démarches des héritiers : Apporter de la clarté permet d’éviter des litiges successoraux ou des pertes de temps dans la récupération ou la suppression des données.
Les étapes essentielles pour organiser une succession digitale efficace
Anticiper la transmission numérique de son patrimoine ne s’improvise pas. Cela repose sur une démarche structurée et documentée :
- Faire un inventaire de ses actifs numériques : Listez tous vos comptes, services en ligne, plateformes, abonnements, portefeuilles digitaux, ainsi que le mode d’accès (login, mot de passe, double authentification, clé cryptographique…).
- Mettre à jour régulièrement ces informations : À l’ère numérique, les habitudes évoluent rapidement. Il est essentiel d’actualiser périodiquement votre inventaire numérique pour rester pertinent.
- Désigner un ou plusieurs légataires numériques : Choisissez une personne de confiance (conjoint, enfant, notaire, avocat) apte à gérer vos actifs numériques selon vos souhaits. Il peut s’agir d’un “exécuteur numérique”.
- Documenter ses volontés : Rédiger un testament numérique ou des directives spécifiques est indispensable. Il peut être intégré à un testament classique ou rédigé séparément. Veillez à ce que ce document soit juridiquement valide.
- Sécuriser l’accès aux données sensibles : Utilisez des coffres-forts numériques ou des gestionnaires de mots de passe type LastPass, Bitwarden, Dashlane… Certains permettent de transmettre automatiquement les accès après un délai d’inactivité.
L’encadrement légal et les bonnes pratiques en France
En France, la notion de patrimoine numérique dans la succession reste encore peu encadrée par la législation. Toutefois, certaines lois récentes, comme la loi pour une République numérique (2016), permettent aux personnes de donner des directives sur ce qu’il advient de leurs données personnelles après leur décès.
Voici quelques points clés à connaître :
- Héritage légal : En l’absence de directives, les ayant droits peuvent accéder aux données si cela est nécessaire au règlement de la succession ou pour faire valoir un droit en justice.
- Directive de vie numérique : Vous pouvez créer une directive générale (valable pour tous vos comptes), ou spécifique (liée à un service en particulier, par exemple Facebook, Google, etc.).
- Notaires et patrimoine numérique : Certains notaires se sont spécialisés dans les problématiques de transmission numérique. Il est utile de les consulter lors de la rédaction du testament ou d’une donation anticipée des actifs digitaux.
Les spécificités de la transmission de cryptomonnaies
Les cryptomonnaies (Bitcoin, Ethereum, etc.) sont un élément central du patrimoine numérique moderne. Leur particularité réside dans leur décentralisation : il n’existe aucun tiers pour interagir avec les comptes après décès. En l’absence des clés privées, ces actifs deviennent irrécupérables.
Pour éviter cela, voici quelques recommandations :
- Documenter les portefeuilles : Indiquez l’existence de portefeuilles chauds ou froids (hot wallets ou cold wallets), les plateformes utilisées, et l’ensemble des mots de passe associés.
- Utiliser des services spécialisés : Certaines entreprises proposent des solutions de transmission post-mortem sécurisées pour les crypto-actifs.
- Informer un tiers de confiance : Prévoir un système de double authentification contrôlé par un héritier ou un notaire pour éviter les pertes définitives.
S’organiser avec des outils numériques adaptés
Plusieurs services ont vu le jour ces dernières années pour faciliter la gestion du patrimoine numérique et testament numérique :
- Gestionnaires de mots de passe : Ils permettent de centraliser l’ensemble de vos identifiants et d’en planifier la transmission.
- Coffres-forts numériques : Ces outils certifiés (type Arkhineo, Digiposte) offrent un cadre sécurisé pour le stockage à long terme de documents sensibles, accessibles uniquement à vos héritiers ou mandataires désignés.
- Applications de succession numérique : Certaines startups proposent de rédiger des volontés numériques et de désigner des exécuteurs digitaux avec instructions précises.
L’importance d’une approche personnalisée et accompagnée
Chaque patrimoine numérique est unique. On ne planifie pas la succession d’un particulier possédant quelques comptes de réseaux sociaux comme celle d’un entrepreneur du e-commerce ou d’un investisseur en actifs numériques. C’est pourquoi, il est fortement recommandé de :
- Faire appel à des professionnels spécialisés : Notaires, conseillers en gestion de patrimoine, avocats en droit du numérique… ce sont des partenaires clés pour sécuriser la démarche.
- Informer les héritiers de l’existence du dispositif : Il est essentiel que vos proches sachent qu’un système de transmission numérique existe, à défaut de quoi leurs démarches seront vaines.
- Mettre régulièrement à jour la stratégie : Les évolutions technologiques, légales et vos propres usages numériques doivent guider des ajustements ponctuels de votre planification.
Le patrimoine numérique revêt une importance croissante dans nos vies et dans la transmission intergénérationnelle. Anticiper sa gestion, sécuriser ses actifs digitaux et léguer ses volontés numériques s’inscrivent désormais au cœur d’une stratégie patrimoniale complète et responsable.
